Gare grise orage et boue.

C'était un jour d'orage comme on en voit l'été. Des nuages s'élevaient dans le ciel comme des colonnes de napalm. Des bombes atomiques éclatées dans le silence. C'était un de ces jours où l'atmosphère est tellement lourde que le moindre filet d'air est au cupide la pépite d'or. Les montagnes étaient déjà noires, le vert et le bleu devenus violet sombre. C'est un fait semble-t-il lorsque l'orage pointe le bout de son nez dans un paysage, l'ambiance s'adonne au spirituel. L'orage grondait au loin...

Le train s'arrêta au bord du quai de gare en fin d'après midi. Elle descendit et observa autour d'elle. Une ville fantôme, des immeubles dortoirs, une lointaine cité banlieusarde aux allures de Manchester. Voilà où elle se trouvait. Elle connaissait l'endroit, traversa la gare, chargée d'un imper noir au bras, sortit. Elle était contre le mur, elle attendait. L'attente indéterminée. L'attente. Elle était contre le mur pour combien de temps ? Elle ne le savait pas. Elle attendait. Cheveux noirs balayés par le vent d'est. Il n'y avait plus rien d'autre à faire qu' attendre. Au bout d'un certain temps le corps se fige et s'oublie, l'imper tomba au sol, surprise, elle le ramassa et se remit en position initiale. Une heure plus tard, personne ne viendrait, elle en était sûre. Ce n'est pas qu'elle attendait quelqu'un de particulier, c'est juste qu'elle aurait aimé savoir s'il serait venu malgré tout. Mais non. Il n'était pas là. Alors elle s'avança le long d'une petite route et s'assit sur un talus d'herbe humide au bout d'un quart d'heure. Elle était perdue. La pluie commença à tomber lentement.

Elle se souciait peu que la pluie tombe sur elle. C'était un évènement dissocié de ses préoccupations. Elle regardait le sol, les genoux dans ses bras et sentait les gouttes de plus en plus lourdes, exploser contre son dos, sa tête, sa nuque. Averse.

La pluie qui tombe sur les vêtements, le corps, la peau, qui rentrerait presque dans l'ossature de ce corps immobile. Elle est une pierre, froide comme la glace. Autour c'est ce même paysage industriel par lequel la nature essaye de reprendre son dû. Tout est gris, tout est lourd, mais tout est étrangement glacial pour un orage de fin de journée. Le sol est boueux, la terre est meuble, les chats courent ça et là pour se mettre à l'abri. Elle jette des petits cailloux sur la route. Ils tombent, roulent un peu, s'arrêtent. D'autres prennent le relais. Elle pensait juste que peut-être... Il viendrait. Peut-être il serait là sans qu'il ne sache qu'elle serait là elle aussi. Elle était dans l'illusion de sa venue et maintenant il n'y a plus qu'à se laisser transformer, mourir. Les émotions ne passent plus. Pleurer est absurde, sourire le serait moins. Elle ne veut que rester là sans bouger, n'être que ce rien un moment. Être cet élément du paysage.

Il n'est pas venu mais elle ne lui en veut pas. Il ne pouvait pas savoir. De son coté, impossible de savoir ce qu'il en est.
Des pas à l'ouest tintent comme un métronome. Lents et réguliers. Cela dure une éternité comme une chimère. Soudain la pluie, juste le bruit de la pluie qui tombe au sol. Elle ne regarde que cela, la pluie qui tombe au sol devant elle comme les soldats d'une armée déchue. Des parachutistes suicidaires. Elle ne semble pas avoir entendu les pas à l'ouest. Elle ne s'en soucie pas. Les pas se sont arrêtés. Le bruit d'une boîte en métal qui claque. Un temps. Le bruit d'un briquet qu'on allume. Le bruit d'une respiration. L'odeur du tabac. Une présence. Au loin une grande silhouette noire se dessine, un chapeau et un grand manteau. La silhouette n'a pas d'identité. Elle est juste là en qualité de silhouette. C'est elle, à une vingtaine de mètres de la pierre de glace assise sur le talus.